"Dégradation du permafrost :un nouveau risque ? " Retour sur Entre midi & science (8/02/2022)

Publié par Claire Tantin, le 18 février 2022   1.1k

Vous êtes curieux des sciences ? Désireux de comprendre les sujets de société et leurs enjeux ? Une fois par mois, à la Galerie Eurêka, venez rencontrer des spécialistes, poser vos questions et débattre avec eux lors des rendez-vous « Entre midi & science ».

Si vous n’avez pas assisté au dernier rendez-vous du mardi 8 février, « Dégradation du permafrost : un nouveau risque ? », ce résumé vous en donnera un aperçu !

Pour échanger sur ce thème, Philip Deline, enseignant-chercheur au laboratoire EDyTEM (Environnements, Dynamiques et Territoires de Montagne) de l’Université Savoie Mont-Blanc était l’invité de ce café-débat.

Vous pouvez aussi écouter le café-débat et retrouver les questions du public sur l’enregistrement audio !

  1. Le permafrost : où et quoi ?

Pour débuter son intervention, Philip Deline nous fait observer que le permafrost ne se voit pas dans le paysage. Qu’appelle-t-on permafrost ? Où en trouve-t-on ?

Le permafrost correspond à un état thermique des sols dans lesquels la température ne remonte jamais au-dessus de 0°C pendant une année au moins. Le permafrost (ou pergélisol) occupe une part très importante de la cryosphère, l'ensemble des surfaces de la Terre où l'eau est présente sous forme de glace, c’est-à-dire à l’état solide. Le permafrost représente un quart de la superficie des continents de l’hémisphère Nord et peut être présent même sous l’océan.

Si l’essentiel du permafrost se rencontre aux hautes latitudes, on le trouve aussi à des latitudes plus basses, en altitude, dans les massifs montagneux. Dans ces lieux, la superficie du permafrost est trois fois supérieure à celle des glaciers de montagne, l’extension du permafrost est donc bien supérieure à celle des glaciers !

L’épaisseur du permafrost peut atteindre une dizaine voire plusieurs centaines de mètres. La couche active, la partie qui gèle et dégèle en fonction de la température extérieure est plus épaisse dans les zones de montagne qu’aux hautes latitudes. En-dessous de cette couche, la couche qui ne dégèle jamais est le permafrost proprement dit. En Sibérie, cette couche inférieure peut atteindre 600 m de profondeur. Cette grande épaisseur de permafrost est un héritage du Quaternaire, période où de longues périodes froides ont permis le développement de parties glacées, le froid ayant pénétré en profondeur dans les terrains (notamment dans les zones où il n’y avait pas de neige en surface).

Le permafrost donne des formes particulières dans le paysage :

  • Les « coins de glace » donnent des terrains originaux avec des formes en polygones,
  • Les collines ou « pingos » : ces structures correspondent à une accumulation de glace qui gonfle et déforme les terrains.
  • Les glaciers rocheux : ce sont des masses de débris rocheux mélangés à de la glace qui se trouve dans les interstices. Le déplacement de l’ensemble est très lent, parfois de quelques centimètres par an. Ce mouvement ressemble au déplacement d’une coulée de lave.

Les parois rocheuses. Par exemple, au Cervin en Suisse, il y a une présence importante de permafrost jusqu’à une profondeur d’environ 1000 m dans la roche. Celle-ci présente des températures allant de -1°C à -10°C

Dégradation actuelle du permafrost en montagne et aux hautes latitudes

Avec le réchauffement climatique, la température augmente d’autant plus vite qu’on se rapproche des hautes latitudes. L’accélération de ce réchauffement augmente la dégradation du permafrost. Des mesures montrent une augmentation des températures du sol passant de -10°C à -8°C. Ce réchauffement entraine le dégel du permafrost parfois même sa disparition. Entre 2007 et 2016, en moyenne, la température du permafrost a augmenté de + 0,3°C.

Les conséquences de cette dégradation sont multiples : instabilité des sols et des parois, effondrement de terrains, écroulement des bâtiments.

Le réchauffement climatique entraîne le dégel et la dégradation des matières organiques contenues dans le permafrost. Le carbone est alors relâché dans l’atmosphère, augmentant la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et de ce fait, accélère le réchauffement climatique. La dégradation du permafrost est ainsi encore accélérée. On assiste donc à un emballement du réchauffement climatique lié aux émissions de méthane.

Et dans le futur ?

Certaines zones de permafrost vont disparaître. En 2100, les projections optimistes (réchauffement climatique + 2,6°C) montrent une baisse de 30% du permafrost et si l’on prend un scénario pessimiste (+8,5°C), c’est jusqu’à 75% qui serait amené à disparaitre!

Dans le cas des glaciers rocheux, la dégradation du permafrost provoque une accélération de l’ensemble. Auparavant, ce déplacement était de l’ordre de quelques dizaines de centimètres par an, il est dorénavant de un voire deux à trois m/an. La vitesse a été multipliée par 10 ! Elle dépend de l’augmentation de la température atmosphérique.

Cette dégradation agit aussi directement sur le glacier. Le front de certains glaciers peut se détacher de la partie supérieure et glisser.

Cette dégradation provoque aussi des instabilités sur les infrastructures en station. De nombreuses stations des Alpes sont « sous contrôle » car de nombreuses infrastructures sont menacées.

Dans les parois rocheuses, des mesures ont montré une augmentation des températures de la roche à 10 m et 20 m de profondeur. Des capteurs ont été installés à l’aiguille du Midi (Massif du Mont-Blanc). Cinq années de mesures ont permis d’observer une augmentation des températures de 0,6 à 1°C à 3800m d’altitude.

Les études montrent qu’il y a un lien avéré entre écroulements et élévation de température. Au niveau des Drus et des Aiguilles de Chamonix, les écroulements sont en augmentation depuis les années 1990 et plus de 80% se sont produits depuis 25 ans.

Dans le massif du Mont-Blanc, les études ont montré que les variations de température (proches de 0°C) des parois entraînaient de nombreux écroulements rocheux. Ces écroulements sont souvent de petit volume mais il existe aussi des écroulements de très gros volumes côté italien du massif. Les scientifiques se posent la question si ces gros écroulements sont en lien avec la dégradation du permafrost, car certains de ces écroulements se sont produits durant une période froide bien que situés dans l’Holocène, période plus chaude comparée aux périodes où les glaciers atteignaient Lyon !

Déstabilisation des glaciers froids

Sur le glacier de Taconnaz (Massif du Mont-Blanc), la température moyenne interne est de -2°C. Si de grandes avalanches ont été observées depuis des temps anciens, des installations ont permis d’éviter les risques liés à ces avalanches gigantesques. Actuellement, on observe une montée de la température interne du glacier et les projections prédisent qu’en 2100, ses températures internes devraient être positives. Cela laisse présager une instabilité plus forte et des avalanches de grands volumes sont probables.

Conclusion

Ce milieu en cours de dégradation concerne des lieux exceptionnels comme les parois rocheuses, les glaciers rocheux, etc. Mais comme pour les autres aspects liés au réchauffement climatique, il y a urgence à agir car l’inertie est telle sur ces phénomènes qu’il faut plusieurs décennies pour arrêter ou ralentir ces processus.

C’est donc une bataille à mener de façon très active pour arriver à faire « bouger les lignes ».