Pas si anodines, les entorses de la cheville… et gare aux récidives !
Publié par Université Savoie Mont Blanc, le 24 avril 2024 400
Cet article a été écrit par Brice Picot, Maître de conférences au Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité (LIBM) de l'USMB, et kinésithérapeute.
Il est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. [Lire l’article original]
L’entorse de la cheville est une blessure courante, mais pas si bénigne. En cas de traumatisme à la cheville, il faut consulter systématiquement un professionnel de santé pour établir le diagnostic d’entorse et décider de la prise en charge la plus adaptée.
Qui ne s’est pas déjà fait une entorse de la cheville ? Et pour cause, il s’agit de la blessure la plus fréquente. Elle peut survenir dans la vie de tous les jours comme dans le cadre d’une pratique sportive, chez des sportifs professionnels aussi bien que chez des amateurs…
On estime que près de 70 % de la population générale a déjà subi une entorse de la cheville et qu’elle représente, à elle seule, 25 % de l’ensemble des traumatismes chez le sportif.
Le risque est plus élevé quand on pratique certains sports, notamment le basket, le handball, le football ou encore les sports de raquettes.
En cause le plus souvent : un mouvement d’inversion de la cheville
La très grande majorité des entorses de la cheville concerne le système ligamentaire latéral. Dans les situations les plus courantes, la lésion est due à un mouvement excessif (dit de « supination ») associé à une rotation du pied vers l’intérieur. Les spécialistes parlent « d’inversion de cheville ».
Cette blessure est souvent considérée comme bénigne par les sportifs. « C’est rien ! c’est juste une entorse de cheville… ! » Qui n’a pas entendu cette phrase de la bouche d’un coach, d’un parent ou de l’athlète lui-même ?
Des récidives fréquentes dans l’année qui suit
À première vue, c’est effectivement une blessure qui parait banale car les symptômes (douleur, gonflement…) disparaissent le plus souvent dans les jours qui suivent. Malheureusement, c’est la première étape de ce que les spécialistes appellent « la cascade catastrophique de l’entorse de cheville ».
En effet, plus de la moitié des patients (70 % dans certains sports) vont subir une récidive dans l’année suivant le traumatisme. « C’est rien ! c’est (encore) juste une entorse ! », répète-t-on trop souvent.
Oui, mais la cascade ne s’arrête pas là, puisque 40 % des entorses vont se transformer en instabilité chronique de cheville.
Cette instabilité se définit par des récidives d’entorses, des épisodes de dérobements de la cheville et surtout une perte de fonction dans les activités quotidiennes et sportives.
En consultation, nous entendons trop souvent les phrases suivantes :
« Je n’ai pas confiance dans ma cheville » ; « Elle se tord tout le temps » ; « Je joue toujours au foot, mais maintenant je suis gardien » ; « Je me tords la cheville dans les chemins ou sur les trottoirs » ; « J’ai arrêté le sport à cause de mes chevilles », etc.
Une cascade catastrophique, parfois jusqu’à l’arthrose précoce
Quand on connaît l’importance de l’activité physique pour la santé, on comprend pourquoi cette instabilité de cheville devient problématique.
C’est sans compter les problématiques socioéconomiques. En France, les coûts de santé publique sont estimés à 1 000 € par entorse*et on dénombre près de 6 500 consultations par jour aux urgences pour des entorses de cheville. Soit plus de 2 milliards d’euros par an…
Enfin, la dernière étape de cette cascade catastrophique est l’arthrose précoce (avant 50 ans) qui concerne 10 à 40 % des patients qui ont subi une première entorse. On estime également que 70 à 80 % des arthroses de cheville sont d’origine traumatique. Les coûts indirects de cette blessure à priori banale dépassent ainsi plusieurs milliards d’euros chaque année.
Le cas emblématique de Neymar
Dans le sport professionnel, on peut citer l’exemple de Neymar. De 2017 à 2022, le footballeur brésilien a manqué 123 matchs officiels du PSG – soit plus de 46 % des matchs de Ligue 1 – et près d’une année complète en jours cumulés, à cause de diverses blessures dominées par des entorses de cheville.
Il existe peu de blessures qui pourraient se vanter d’éloigner des terrains les athlètes plus d’un an au cours de leur carrière ! Pas si banale finalement cette entorse !
Trop peu de consultations et de rééducation
Plusieurs raisons expliquent cette cascade catastrophique liée principalement à la banalisation de cette blessure.
La première est le faible taux de consultation médicale suite au traumatisme. Combien d’entre nous sont allés consulter un médecin à la suite d’une entorse ? Pire, combien ont suivi une rééducation avant de reprendre le sport ? On estime à un tiers seulement le nombre de patients qui consultent et moins de 3 % des patients suivront une rééducation…
La deuxième raison concerne la méconnaissance des professionnels de santé concernant cette pathologie et, en particulier, l’instabilité chronique. Peu de médecins prescrivent une rééducation et ils recommandent souvent une simple mise au repos. Du côté des spécialistes de la rééducation, le constat est identique avec le plus souvent une prise en charge inadaptée à cette blessure.
Soignez correctement vos entorses, vos chevilles vous remercieront
Enfin, la dernière raison est liée aux délais de reprise trop précoces du sport. Le délai moyen d’arrêt est de 2 jours et près de 80 % des sportifs reprennent dans la semaine qui suit le traumatisme.
Ces délais de cicatrisation sont bien trop courts pour que les déficits neuromusculaires soient résorbés. Jusqu’à aujourd’hui, il n’existait pas de critères objectifs pour la reprise sportive. La douleur et le temps représentaient les critères de décision principaux pour guider le patient.
Très récemment, notre équipe a développé un nouvel outil permettant d’aider les cliniciens dans la validation de la reprise sportive. Cet outil (Ankle-GO) est constitué de plusieurs tests et questionnaires. Il permet d’évaluer la stabilité fonctionnelle de la cheville et de repérer les déficits encore présents chez les patients.
Cet outil est complété par une application gratuite, à destination des professionnels de santé, qui facilite le recueil des données. Les résultats scientifiques récents indiquent que les patients présentant de mauvais résultats ont un risque 9 fois plus élevé de se blesser à nouveau.
Ainsi, même si l’entorse est considérée comme une blessure bénigne par les patients et par certains professionnels de santé, il s’agit en réalité d’une atteinte qui conduit, chez la majorité des sportifs, à des récidives et au développement d’une instabilité chronique de cheville.
L’absence de consultation médicale des patients, la banalisation du traitement et un retour trop précoce à la pratique expliquent la cascade catastrophique.
Le message important à retenir, c’est qu’il n’y a pas de simple entorse de cheville. Si vous êtes jeune (ou moins jeune), que vous pratiquez une activité physique (ou pas), soignez correctement vos entorses, vos chevilles vous remercieront dans quelques années…
Distinguer les différents types d’entorses
On l’a dit, la très grande majorité des entorses concerne le ligament latéral. Mais parmi les entorses, il en est une un peu à part ! L’entorse de l’articulation entre le tibia et la fibula (appelée aussi péroné).
Elle touche particulièrement les sports de contact (rugby, football américain…) mais également le ski. Le mécanisme à l’origine de la lésion est un peu différent puisqu’il survient lorsque le pied est ancré au sol avec un mécanisme de flexion dorsale et de rotation latérale du pied.
Si la douleur ressentie ressemble à celle d’une entorse latérale, les conséquences mécaniques et la prise en charge qui en découle seront très différentes. Un bilan rigoureux et le recours à une imagerie médicale seront nécessaires et la classification précise de la lésion permettra d’orienter le traitement qui pourra être chirurgical ou fonctionnel (c’est-à-dire une rééducation).
Une immobilisation stricte de la cheville est nécessaire pour favoriser la cicatrisation et la reprise d’appui sera très progressive. Concernant le retour au sport, même dans le cas d’une prise en charge non chirurgicale, les délais de reprise sont généralement 3 à 5 fois plus longs que pour une entorse latérale.
Éviter de développer une instabilité chronique de la cheville
Pour savoir si, comme c’est souvent le cas, l’entorse de la cheville touche le ligament latéral ou si elle concerne l’articulation située entre le tibia et le péroné, les sportifs blessés doivent consulter systématiquement un professionnel de santé lors de traumatismes à la cheville.
Ceci afin de limiter les conséquences à long terme et notamment le risque de développer une instabilité chronique de cheville avec des conséquences dramatiques sur la fonction des patients dans leurs activités quotidienne et sportive.
Évitez une reprise du sport trop précoce et gardez à l’esprit que l’absence de douleur n’est pas un bon indicateur de la guérison d’une entorse.