« Conduites à risques : le propre des ados ? » : retour sur le rdv Entre midi & science (23/11/2021)

Publié par Audrey Popineau, le 13 décembre 2021   1.6k

Vous êtes curieux des sciences ? Désireux de comprendre les sujets de société et leurs enjeux ? Chaque mois, un mardi de 12h30 à 13h30, la Galerie Eurêka propose des rencontres avec des scientifiques et des spécialistes, pour échanger et débattre sur un sujet de société.

Si vous n’avez pas assisté au rendez-vous « Entre midi & science » du mardi 23 novembre 2021, sur le thème « Conduites à risques : le propre des ados ? », ce résumé vous en donnera un aperçu.

Pour échanger sur ce thème, Arnaud Carré, Maître de conférences au Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie, Personnalité, Cognition, Changement Social (LIP/PC2S) de l'Université Savoie Mont Blanc, était l’invité de cette rencontre. À travers l’approche psychologique, il a apporté des clés pour comprendre pourquoi les adolescents sont davantage concernés par les conduites à risques.

Ce compte-rendu se base sur la présentation d’Arnaud Carré et les échanges avec le public qui ont suivi.

L’adolescence, période de grands changements

L’adolescence désigne la période d’évolution marquant la transition entre l’enfance et l’âge adulte. De manière générale elle correspond à la période entre 10 et 19 ans. Toutefois, selon les critères, elle pourrait s’étendre au-delà de 18-19 ans et se poursuivre jusqu’à 25 ans, voire plus !

L’adolescence est marquée par des changements majeurs dans plusieurs domaines importants : puberté, changements d’ordre morphologique (taille, etc.), cérébral, cognitif, comportemental et affectif (compétences émotionnelles, personnalité, construction de soi, etc.).

Le cerveau des adolescents : développement et particularités

Le cerveau adolescent atteindrait sa taille maximale vers 11 ans chez les filles et 14 ans chez les garçons (à noter cependant que cela n’implique pas de différences de compétences fondamentales ou d’intelligence). Il se développe supposément jusqu’à la fin de la vingtaine, voire plus (la fin de la trentaine).

Dans ce développement, le cortex préfrontal est l’une des dernières régions cérébrales à être mature. Ce cortex préfrontal est impliqué dans l’organisation, le raisonnement et le contrôle de soi (impulsions).

Le cerveau des adolescents est un cerveau pouvant être caractérisé comme « explorateur » car il a une appétence particulière pour la découverte de nouvelles choses. Il est particulièrement « prêt » à apprendre, à faire des expériences et à s’adapter aux nouveaux cadres et technologies (à différents niveaux selon les personnes). L’expérience (qui peut être positive ou négative) vient en retour « façonner » le cerveau qui est un organe particulièrement sensible à son environnement.

Comment fonctionne le cerveau à l’adolescence ?

Le cerveau adolescent est caractérisé par un déséquilibre entre les aspects « régulation- autocontrôle » et « impulsivité-recherche de sensation », ce deuxième aspect prenant le dessus sur le premier.

Le cerveau apprend vite et beaucoup. Cependant, l’anticipation des conséquences est difficile à un moment où l’émotivité prend le dessus. Le cerveau adolescent est en train d’acquérir des compétences mais n’est pas encore complètement développé. L’autorégulation en particulier est une capacité pas encore complètement acquise. Or, cela n’est pas toujours pris en compte et l’adolescent est davantage identifié à l’adulte qu’à l’enfant (en matière de réponse comportementale).

Cette vidéo de la Fondation québécoise « Jeunes en tête » explique en une minute comment fonctionne le cerveau à l’adolescence :

Visionner la vidéo

Une plus grande vulnérabilité aux troubles mentaux

L’adolescence est aussi une période plus sujette à l’apparition et au développement de troubles mentaux (schizophrénie, anxiété, dépression, troubles bipolaires, troubles du comportement alimentaire, troubles liés à des usages de substances, etc.). Cela est lié aux importants changements que connaît le cerveau. Si les troubles sont pris en charge très tôt, ils peuvent rapidement disparaître : il y a donc un vrai enjeu de prévention.

Un décalage de l’horloge biologique

Le cerveau des adolescents a besoin de repos, cependant à cet âge l’organisme présente des rythmes différents de ceux des enfants et des adultes. En effet, chez les adolescents, les niveaux de mélatonine (hormone liée au sommeil) varient différemment : les taux sanguins augmentent plus tard dans la soirée et diminuent plus tardivement dans la matinée. Leur horloge biologique est donc décalée, et n’est pas toujours en adéquation avec le rythme des activités quotidiennes.

Les adolescents dorment ainsi souvent moins que leurs 9-10h nécessaires par nuit, ce qui peut entraîner des difficultés d’attention, une impulsivité augmentée, un risque augmenté d’irritabilité ou de la dépression.

Cerveau et résilience

Le cerveau des adolescents est certes vulnérable mais il est aussi résilient. Ainsi, la majorité des adolescents deviennent des adultes en bonne santé. Par ailleurs, certains changements et certaines expériences peuvent aider à protéger contre les troubles mentaux à long terme. Même l’adversité peut devenir source de force et permettre de gagner des ressources. Une croissance post-traumatique est possible.

Données complémentaires sur les conduites à risques et la santé mentale

Au niveau mondial, chaque année surviennent environ 1,5 million de décès d’adolescents et de jeunes adultes. Les principales causes sont les conduites à risque et leurs conséquences, ou des comportements de santé négatifs (sédentarité, alimentation,…).

Par ailleurs, 20% des jeunes (au niveau mondial) sont confrontés à un problème de santé mentale ou de comportement. Les troubles mentaux montrent une augmentation depuis 20 ans. La dépression notamment présente une fréquence importante chez les 15-19 ans. Le suicide représente la 3ème cause de mortalité chez les jeunes.

Il est à noter que 50% des troubles mentaux de l’adulte apparaissent avant l'âge de 14 ans, et 75% apparaissent avant 25 ans. La tranche 15-25 ans correspond au début classique d’un trouble classique schizophrénique. 6 à 13% des troubles anxieux chez les jeunes peuvent évoluer vers une dépression, une problématique addictive ou une problématique scolaire. Or la plupart des troubles mentaux ne sont pas traités ou pas correctement traités.

Une enquête sur la santé mentale des jeunes (15-25 ans) menée par la Fondation Pierre Deniker en 2016 (échantillon de 603 jeunes représentatif de la population française âgée de 15 à 25 ans) a montré que 95% des 15-25 ans se déclarent heureux. Cependant 37% se déclarent souvent stressés et 58% ont déjà ressenti un ou plusieurs symptômes d'ordre psychotique au cours des 30 derniers jours.

Tous les résultats de cette enquête de la Fondation Pierre Deniker.

Les adolescents constituent donc une cible privilégiée en matière de prévention des troubles de la santé mentale et des conduites à risques.

Vigilance quant aux conséquences possibles

Les conséquences possibles des expériences précoces de situations aversives sont nombreuses et diverses : blessures, impacts sur la santé mentale ou sur la santé maternelle, maladies infectieuses (qui peuvent être liées à des conduites à risques et à une diminution des défenses immunitaires), pathologies chroniques (qui peuvent être liées par exemple à des comportements alimentaires aux effets négatifs), conduites à risques, influence sur les "opportunités de vie" (niveau de vie, salaire…)

Il s'agit donc d'être particulièrement vigilant : même si la résilience est importante, beaucoup de choses se jouent à l'âge de l'adolescence.

Objectif bien-être et bonne santé

Le bien-être et une bonne santé passent par le respect des rythmes de sommeil, l'exercice physique, des compétences émotionnelles et psycho-sociales, une alimentation équilibrée,...

Signaux d’alerte

Certains signaux observés chez les adolescents doivent alerter :

- incapacité à réaliser des tâches quotidiennes

- difficulté à être en contact avec son environnement social

- actes auto-agressifs et prises de risques (substances psychoactives, conduites alimentaires, tentative de suicide et parasuicide,...)

Quelques conseils pour les adolescents et leur entourage

- envisager que le cerveau adolescent est sensible à tout ce qui le motive

- respecter les rythmes

- pratiquer une activité physique ou sportive (en sécurité)

- échanger, proposer le dialogue (mais non l'imposer)

Quelques mots de conclusion

Les conduites à risque sont particulièrement le propre des adolescents, mais pas que ! Bien que ce soit plus marqué chez les eux, elles peuvent parfois perdurer à l’âge adulte.

Tout en étant vigilant à cette vulnérabilité et aux risques, il est important cependant de ne pas oublier les aspects positifs comme la capacité de résilience.

Attention également à ne pas considérer le bien être mental seulement comme l’absence d’un trouble : c’est aussi la capacité à s’épanouir et se réaliser (ce qui est aujourd’hui encore sous évalué).

Sélection de questions

1/ Prévention : comment informer efficacement les adolescents de ce qui les menacent ?

Un des meilleurs leviers pour la prévention, c’est de passer par l’aspect communautaire et une sensibilisation par les pairs. Il existe par exemple des « ambassadeurs de santé » : des collégiens ou lycéens sensibilisés qui viennent parler d’un sujet de prévention à d’autres jeunes de collège ou lycée.

En matière d’information, il a été montré que des interventions courtes peuvent être tout aussi efficaces que de longues ou nombreuses séances.

Par ailleurs, il est préférable de ne pas aborder les choses sous l’angle du problème, et de manière générale de ne pas trop parler des problèmes eux-mêmes (par exemple d’une substance psychoactive), d’autant plus que cela conduit parfois à l’effet contraire (l’attrait pour le produit sur lequel on a voulu sensibiliser).

Il est davantage porteur de parler du cerveau : mécanismes mis en jeu, spécificités du cerveau adolescent, fonctionnement cérébral et psychologique, etc. et faire ainsi de la psychoéducation.

2/ Demande de précisions sur le lien entre cerveau préfrontal et prise de risque

C'est au niveau du cerveau pré-frontal que s'exerce la capacité de raisonnement abstrait et d’inhibition, le contrôle de soi, l'autorégulation. Cette zone cérébrale n’est pas encore mature chez les adolescents donc chez eux le cerveau est contrôlé davantage par les régions liées à l’émotion.

3/ Y-a-t-il des associations locales pour accompagner les jeunes ?

Tout d'abord, il existe plusieurs niveaux de prévention mobilisant des techniques différentes : cela peut porter sur les aspects de bien-être, constituer une prévention primaire (en amont, pour prévenir des troubles et conduites à risque), ou encore une prévention secondaire (qui agit à un stade précoce) ou tertiaire (qui agit sur les complications ou risques de récidives).

Localement, plusieurs acteurs ou structures peuvent être mentionnés :

- interventions par des chercheurs de l’Université Savoie Mont Blanc (recherche d’un point de vue expérimental)

- l'Instance Régionale d'Education et de Promotion de la Santé (IREPS) Auvergne-Rhône-Alpes :

- l'Institut Bergeret (à vocation régionale)

- A noter que notre région fait partie des trois lauréates pour travailler sur ces sujets d'éducation à la santé et la santé mentale dans le cadre du pôle Pégase (centre de psychothérapie, de formation et de recherche).

La clé du succès en matière de prévention est d'être dans la transversalité.